Réel
éditions JOU, 160 pages, mai 2022 -> lien vers l’éditeur
Shanghaï, la veille de Noël, dans un futur proche. Sur les huit niveaux du plus grand centre commercial de la ville, au milieu d’une masse compacte de consommateurs frénétiques, une vingtaine de personnages se croise, échange, entre en interaction. Embryon de rencontres, de communication, de conversations avortées, ces personnes vont faire, durant une dizaine d’heures, une expérience inédite, qui plongera le lecteur dans un monde anxiogène et dystopique. Roman choral, Réel met en scène une humanité en perdition, enlisée dans le nihilisme techno-marchand, guettée par la menace de sa propre destruction.
Extrait
Ma main recouverte par d’autres mains.
Un soulagement.
Mon barda au sol.
Mon Mossberg Maverick aussi.
De l’eau ruisselle partout autour de nous.
Et résonne.
Zen.
Les sourires en disent long sur la période traversée.
Pas de parole.
Pas de langue.
Une lassitude finale sans précédent.
Sans objectif.
On n’arrive pas à se parler.
Pas encore.
Ou alors ça ne sert plus à rien.
Trop crié depuis quarante-huit heures pour être incommodé par le silence.
J’ai mal putain et de sourire et de ne rien dire ça me fait du bien.
Nous allons, semble-t-il, tout le monde se rassemble, converger vers un passage dissimulé derrière un immense bloc de granit, presque carré, quelques émojis gravés sur la roche à hauteur d’enfant. Mes camarades, comme moi, intrigués, entourés, convoyés vers ce passage suivi de couloirs aménagés dans la roche, confortables pour la marche, éclairés par des torches en feu, décorés de tricot-graffiti, nous remontons vers la surface, nous nous élevons de nouveau vers une nouvelle surprise. Depuis combien de temps sont-ils réfugiés ici ? Quelques mois ? Années ? Ils sont étrangement calmes, une petite fille me sourit, un autre enfant m’ignore, son teint pâle, sortent-ils souvent ? Après une dizaine de minutes de marche silencieuse et énigmatique nous atteignons une nouvelle grotte transpercée en deux endroits par des faisceaux lumineux provenant de la surface. C’est immense.
On se tient la main.
Un enfant,
une femme,
un homme sans âge,
un vieillard,
un camarade.
On n’a plus d’âge.
Plus de repères.
Plus de sexe.
Plus de désir.
Plus de Karman.
Plus de volonté.
On se laisse aller, conduire.
On a peut-être confiance.
On a peut-être tort
On est bien putain.